"C’est dans l’obscurité, quand je suis dans mon lit, que les visages de Zeinab, Ahmed et Ferhad viennent me hanter."
En tant que chargé de communication, j’ai souvent été amené à me rendre à Moussoul, Bashiqa et Sinjar, trois villes qui portent aujourd’hui encore les stigmates de la guerre. Rejoindre ces zones n’a jamais été difficile. Ce qui était douloureux, en revanche, c’était de recueillir les récits des personnes sur place : leur expérience de la guerre, leurs déracinements et leurs souffrances.
Parce que le Comité international de la Croix-Rouge est une institution qui fournit protection et assistance aux personnes touchées par la guerre, j’ai souvent été parmi les premiers à pénétrer dans les villes quand les combats prenaient fin. Chaque déplacement à Mossoul me plongeait dans un tourbillon d’émotions.
"Zeinab, Ahmed et Ferhad sont morts sous mes yeux, alors qu’ils tentaient désespérément de s’accrocher à la vie sur leur lit d’hôpital. Derrière les récits des victimes, j’entends les explosions et les cris des adultes, mêlés aux pleurs des enfants. J’aimerais pouvoir oublier tout ce que j’ai vu au cours de chacun de ces voyages."
La simple évocation de ce nom me rappelle tout ce que cette région et ses habitants ont enduré.
Même si Sinjar a retrouvé sa beauté, la vie y reste dure. Ses habitants ne veulent pas revivre l’enfer qu’ils ont traversé. Il y a peu, j’ai rencontré Sharihan, une femme de Sinjar qui a perdu sa mère et son frère. Sa mère a été tuée sous ses yeux. À présent, elle vit avec sa famille ; elle n’a pas de travail. Elle ne veut qu’une chose : partir avec sa famille et quitter pour toujours ces lieux qui lui rappellent à chaque instant ce qu’elle a perdu.
Lors d’une visite récente à Mossoul, j’ai rencontré Om Nawwar, une femme qui a traversé des épreuves extrêmement dures pendant le siège. Pourtant, elle insiste : « Je ne veux pas mourir ; je veux vivre ! ». Pendant près de deux mois, Om Nawwar s’est cachée dans sa cave, trois mètres sous terre, en compagnie d’une quarantaine de personnes. Parmi elles, un enfant qui avait cruellement besoin de soins médicaux. Om Nawwar était la seule personne suffisamment forte pour partir à la recherche d’un médecin qui pourrait panser les blessures de l’enfant. Aujourd’hui, Om Nawwar est rentrée chez elle avec son fils. Elle m’a expliqué que, même si elle est heureuse d’être de nouveau à la maison, leur vie reste difficile. Chaque jour, elle doit lutter pour satisfaire aux besoins essentiels à leur survie. Chaque recoin de sa maison lui rappelle les jours paisibles qu’elle a connus avec ses enfants et son époux décédé, qui était féru d’art et de cinéma.
Sur la route...
Ce que j’ai vu à Zanjili et dans la vieille ville de Mossoul est inconcevable. Tous les récits que l’on entend à propos de la crise humanitaire à Mossoul sont inscrits sur le visage de n’importe quel survivant.
Chaque fois que je refais le trajet entre Bagdad et Mossoul, je revis toutes les scènes auxquelles j’ai assisté, jusque dans leurs moindres détails. À Zanjili, plus de 300 personnes ont été massacrées alors qu’elles tentaient de s’échapper. Très peu ont pu atteindre l’hôpital général de Mossoul, où je me trouvais à l’époque, pour nous faire le récit terrifiant de leur fuite. Je me suis rendu à Zanjili quand les combats ont pris fin, et j’ai écouté les récits déchirants des personnes déplacées qui commençaient tout juste à rentrer chez elles.
Je n’ai jamais été touché personnellement par les guerres en Irak. Malgré tout, après avoir été témoin de tant de souffrances pendant ces deux dernières années, je souffre aujourd’hui de maux de tête chroniques. Les médecins me disent qu’il s’agit vraisemblablement du prix à payer pour avoir assisté si souvent à des choses épouvantables.