Neuvième anniversaire de la convention de Kampala

 

"Il ne suffit pas de ratifier la Convention, il faut aussi qu’elle soit intégrée dans le droit interne et mise en œuvre au niveau national."

Angela Cotroneo et Livia Hadorn

La Convention de l’Union Africaine pour la protection et l’assistance aux personnes déplacées en Afrique, connue comme la Convention de Kampala, est le premier instrument régional juridiquement contraignant relatif au déplacement interne à avoir été adopté dans le monde. Elle a été adoptée en 2009. Dans le cadre de notre campagne " J'ai dû tout quitter ", Angela Cotroneo et Livia Hadorn, conseillères du CICR pour les déplacements internes reviennent sur l'urgence de la ratification de cette convention, adoptée il y a 9 ans déjà.

 Livia + Angela_Wau_28 November 2018

Angela Cotroneo et Livia Hadorn

Qu'est-ce que la Convention de Kampala?

La Convention de l’Union africaine pour la protection et l’assistance aux personnes déplacées en Afrique, connue comme la Convention de Kampala, est le premier instrument régional juridiquement contraignant relatif au déplacement interne à avoir été adopté dans le monde. Inspirée par les Principes Directeurs des Nations Unies de 1998 relatifs au déplacement de personnes à l’intérieur de leur propre pays, la Convention prévoit des garanties contre le déplacement forcé ainsi que des normes relatives à la protection et l’assistance en faveur des personnes déplacées à l’intérieur de leur propre pays et à la recherche des solutions durables. Elle tient compte de ce qu'en Afrique le déplacement interne est un phénomène aux causes multiples (catastrophes naturelles, conflits armés et de projet de développement, notamment), et reconnait aussi le rôle vital des communautés d’accueils dans la réponse aux déplacés internes.

La Convention a été adoptée en 2009 et est entrée en vigueur en 2012. 

Qu'est-ce qui a été réalisé grâce à ce texte depuis neuf ans?

Une bonne partie des Etats Africains ont signés et ratifiés la Convention, parmi lesquels certains sont fortement touchés par la problématique du déplacement interne, comme la République Centre Africaine et le Soudan du Sud, par exemple. Certains Etats ont aussi adopté ou sont dans le processus de développer des lois nationales et/ou des politiques spécifiques en faveur des personnes déplacées internes qui leur permettront de respecter les obligations prévues dans la Convention.

En avril 2017, a eu lieu la première réunion de la Conférence des Etats Parties prévue par la Convention de Kampala – confirmation historique de la volonté politique existant en Afrique d’aborder la question du déplacement interne de manière proactive et collective. Cette réunion a donné aux Etats Parties l’occasion d’échanger leurs expériences en matière de ratification et mise en œuvre de la Convention de Kampala.

Qu'est-ce qui reste à faire?

Pour que la Convention atteint sa dimension continentale et sa légitimité soit renforcée, il faut que tous les Etats africains y adhérent. Mails il ne suffit pas de ratifier la Convention, il faut aussi qu’elle soit intégrée dans le droit interne et mise en œuvre au niveau national. Il est urgent de prendre davantage de mesures pratiques et actions concrètes pour opérationnaliser la Convention de Kampala et améliorer ainsi le sort des personnes déplacées sur l’ensemble du continent Africain. Les Etats doivent allouer davantage de ressources – humaines, financières, techniques et politiques - à la prévention et à la gestion des situations de déplacement interne.

Aussi, à ne pas oublier, pour les Etats affectés par le déplacement interne, il y a des efforts à faire pour engager les communautés de personnes déplacées afin de s’assurer de leur participation effective à la prise de décisions relatives aux lois, politiques et programmes qui les concernent.                                                   

Concrètement, en quoi la Convention de Kampala peut faire la différence pour les personnes déplacées dans les pays qui l’ont ratifiée?

La Convention de Kampala fournit un cadre global qui peut guider les Etats dans leur réponse face au déplacement interne et qui a déjà commencé à apporter des améliorations concrètes à la vie quotidienne de nombreuses personnes déplacées sur le continent. En 2016, quatre ans après l’entrée en vigueur de la Convention, le CICR (Comité International de la Croix-Rouge) a entrepris un exercice de bilan qui a identifié quelques exemples de bonnes pratiques dans la mise en œuvre de la Convention en ce qui concerne la prévention du déplacement interne , la planification, gestion et suivi des interventions de protection et assistance, fournir une assistance humanitaire adéquate au personnes déplacées internes, la protection ainsi que les solutions durables.

Par exemple, au Mali, les autorités ont organisé des écoles itinérantes ainsi que des sessions d’examens spéciales pour permettre aux enfants et jeunes déplacés de poursuivre leurs études. Elles ont aussi facilité la délivrance de certificats de naissance pour les enfants déplacés afin de permettre leur inscription dans une école.

Quelle est l’urgence de la ratification de cette convention ?

En ratifiant la Convention, un Etat se dote d’une base juridique claire en vue de l’adoption au niveau national de mesures d’ordre normatifs, politiques et concrètes portant sur la protection et assistance aux personnes déplacées internes. L’expérience montre aussi à quel point il est important d’entamer le processus de ratification de la Convention et son incorporation dans la législation nationale avant la survenue d’une crise.

 Après la ratification, existe-t-il des pistes pour la mise en œuvre ?

Au début de l’année 2018, l’Union africaine a adopté une loi modèle qui peut aider les Etats à transposer dans le droit interne les obligations prévues par la Convention. Dans son exercice de bilan mentionné auparavant, le CICR a récolté les enseignements tirés de l’expérience et les bonnes pratiques et formulé des recommandations pour la mise en œuvre de la Convention de Kampala dont les Etats peuvent s’inspirer dans leurs efforts de donner tout son effet à la Convention. Le CICR, ainsi que d’autres organisations, peuvent fournir des conseils et un soutien technique en vue de la mise en œuvre de la Convention de Kampala.

À un an du 10e anniversaire de la convention de Kampala, que doit-on retenir ?

La Convention de Kampala représente une avancée capitale pour les personnes déplacées à l’intérieur de leur propre pays. Mais elle ne peut réaliser son plein potentiel qu’en étant ratifiée et intégralement mise en œuvre partout en Afrique. Cet instrument juridique peut aussi être un modèle et source d’inspiration pour d’autres Etats confrontés aux mêmes défis ailleurs dans le monde.


 

Livia HADORN est conseillère régionale du CICR pour le déplacement interne en Afrique. Avant d'occuper ce poste, elle a travaillé en tant que déléguée pour le CICR au Sud Soudan, dans les territoires occupés, au Myanmar, en Inde, au Yémen et en Irak. 

Angela COTRONEO est Docteur en droit international public et déléguée du CICR depuis 2004. Aujourd'hui basée à Genève au sein de l'unité Protection de la population civile en tant que conseillère et point focal du CICR sur le déplacement interne. Avant d'occuper ce poste, elle a travaillé sur le terrain (Serbie, Colombie, Kenya, Soudan) toujours dans le domaine de la protection. Elle est arrivée au siège à Genève en 2012 pour assumer la fonction de chef des activités protection pour la Corne d'Afrique.