« Les dispositions de la présente Convention ne font pas obstacle aux activités humanitaires que le Comité international de la Croix-Rouge, ainsi que tout autre organisme humanitaire impartial, entreprendra pour la protection des blessés et malades, ainsi que des membres du personnel sanitaire et religieux, et pour les secours à leur apporter, moyennant l’agrément des Parties au conflit intéressées. ». Convention de Genève sur les blessés et malades des forces armées sur terre, 1949, article 9.
S’exprimant le 5 mai 2022 à propos du conflit en Ukraine, le président du CICR a affirmé : « les Conventions de Genève et les Protocoles additionnels identifient certaines questions essentielles autour desquelles il est vital de trouver un consensus entre les parties, pour garantir un minimum d'humanité lors d'un conflit. Il s'agit de protéger les civils et les blessés, de permettre à l'aide humanitaire d'atteindre ceux qui en ont besoin, de traiter les prisonniers de guerre avec humanité, de prévenir les disparitions de personnes et de recueillir les dépouilles mortelles de manière digne ».
Dans ce conflit comme dans tous les autres, la mission du Comité international de la Croix-Rouge (CICR) en sa qualité d’intermédiaire neutre, indépendant et impartial, se fonde sur le droit international humanitaire (DIH) et tout particulièrement sur une disposition commune aux 4 Conventions : l’article 9 pour les CG I, II et III et l’article 10 pour la CG IV.
Quels que soient les motifs d’un conflit armé, quelles qu’en soient les causes invoquées, justes ou injustes, quels que soient l’agresseur et l’agressé, que le recours à la force soit licite ou illicite, toutes les parties au conflit ont pris l’engagement de ne pas entraver les activités humanitaires conduites par le CICR ou par tout autre organisme humanitaire impartial.
Aujourd’hui plus que jamais, la distinction fondamentale entre le droit de l’ONU (jus ad bellum) et le DIH (jus in bello) doit être comprise et acceptée : le seul but du DIH est de protéger et assister les personnes qui ne participent pas ou plus à un conflit armé, ainsi que de limiter les moyens et méthodes de guerre.
Dans ce cadre que tous les États se sont engagés à respecter et à faire respecter, il est vital que le CICR ou tout autre organisme humanitaire impartial puisse offrir ses services afin d’intervenir pour porter secours et assister les personnes en ayant besoin. Que ce soit en Ukraine, en Ethiopie, au Yémen, en Syrie, au Sahel…, ce sont des milliers de personnes qui souffrent des effets des conflits armés et qui ont besoin de l’assistance et de la protection que leur procurent le CICR ou d’autres organismes humanitaires impartiaux.
Tel est le sens de l’article 9 de la CG I : protéger et secourir les « blessés et les malades ainsi que des membres du personnel sanitaire et religieux ». Il s’agit d’un droit d’offrir des services, un droit d’initiative humanitaire (voir Yves Sandoz, « Le droit d’initiative du Comité international de la Croix-Rouge », German Yearbook of International Law, vol. 22, 1979).
À cet égard, précisons d’emblée qu’il ne s’agit pas d’une « ingérence » dans les affaires d’un État : le seul but de ces activités est « humanitaire ». Sur ce point l’article 70, par. 1 du Protocole additionnel I est explicite : « Les offres de secours remplissant les conditions ci-dessus ne seront considérées ni comme une ingérence dans le conflit armé, ni comme des actes hostiles ». D’ailleurs, on trouve dès les Règlements annexés aux Conventions de La Haye de 1899 et de 1907, des dispositions reconnaissant les activités humanitaires conduites, en période de conflit armé, par des « sociétés de secours pour les prisonniers de guerre » ayant pour « objet d’être les intermédiaires de l’action charitable ». Cette disposition qui jetait les bases de l’indépendance du CICR dans ses initiatives lors d’un conflit armé international (CAI), fut reprise et précisée en 1929, dans la Convention relative aux prisonniers de guerre qui précisait : « les dispositions qui précèdent ne font pas obstacle à l'activité humanitaire que le Comité international de la Croix-Rouge pourra déployer pour la protection des prisonniers de guerre, moyennant l'agrément des belligérants intéressés. » (art. 88). Le commentaire actualisé de la CG I nous propose un historique détaillé de cette disposition (§ 1127 et s.).
La reprise de l’essence de cette disposition dans un article commun aux quatre Conventions de 1949 assoit plus largement le droit d’initiative du CICR puisque, selon le libellé de l’article en vigueur, aucune disposition des 4 Conventions ne fait obstacle aux activités humanitaires entreprises par le Comité international de la Croix-Rouge « pour la protection des blessés et malades (CG I), des naufragés (CG II), des prisonniers de guerre (CG III), des personnes civiles (CG IV),, ainsi que des membres du personnel sanitaire et religieux, et pour les secours à leur apporter ». Autrement dit, rien (ou presque) ne peut limiter ou entraver la protection due aux victimes des conflits armés.
Plusieurs conditions sont donc exigées : les activités doivent être « humanitaires » ; elles doivent avoir pour but de protéger et secourir les blessés et les malades, mais aussi les membres du personnel sanitaire et religieux ; elles doivent être menées par le CICR ou par « tout autre organisme humanitaire impartial » ; enfin, un agrément des parties concernées doit être obtenu. Outre le rappel des principes d’action du CICR - notamment humanité, impartialité, neutralité, indépendance - le commentaire actualisé de la CG I expose ce qu’il faut entendre par organisme humanitaire impartial et par « activités humanitaires ». Le Commentaire présente enfin les contours de ce qu’il faut comprendre par « l’agrément des Parties au conflit intéressées », dernière condition exigée par l’article 9.
Comment reconnaître le caractère « humanitaire » des activités ? En réalité, la réponse n’est pas contenue dans les CG. Si le mot « humanitaire » est bien sûr voisin de « humanité », les États n’ont pas fixé une liste des « activités humanitaires ». Le principe fondamental d’humanité, premier des principes du CICR, du Mouvement international de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge (le Mouvement) et, plus largement maintenant de la majorité des acteurs humanitaires (étatiques comme non gouvernementaux), a été consacré par la Cour internationale de justice. Les activités de protection, de secours, d’assistance sont les principales activités humanitaires menées par le CICR en période de conflit armé comme en attestent son action lors de multiples conflits armés.
Le commentaire détaille notamment ce qu’il faut comprendre par activités de « protection » et de « secours et d’assistance »
Pour les conflits armés non internationaux (CANI), voir § 807 et s du commentaire de l’article 3 commun.
Qui sont les personnes qui doivent être protégées et assistées ?
Si cet article 9 peut sembler présenter un intérêt plus grand pour les prisonniers de guerre (CG III) et pour les personnes civiles (CG IV), il est tout aussi capital pour assister et soigner les blessés et malades sur le champ de bataille ou en mer (CG II).
Toutefois, ce droit d’entreprendre de telles activités concerne plus largement toutes les personnes protégées par le DIH (§ 1150 à 1152).
Troisième condition : les activités doivent être entreprises par le CICR ; elles peuvent aussi viser celles conduites par « tout organisme humanitaire et impartial ».
S'agissant du CICR, déjà cité dans les textes de 1899, 1907 et 1929, son caractère humanitaire et impartial n’est pas discuté. Son rôle d’intermédiaire neutre, indépendant et impartial dans les conflits armés est par ailleurs entériné dans ses Statuts (article 4-1-c et 4.2) comme dans ceux du Mouvement (5.1.d et 5.2), statuts validés par les États, qui l’autorisent « à prendre toute initiative humanitaire qui entre dans son rôle d’institution spécifiquement neutre et indépendante, ainsi qu’à étudier toute question dont l’examen par une telle institution s’impose ».
Pour tous ces aspects, le lecteur pourra également se reporter aux développements proposés, dans le cadre d’un CANI, au commentaire de l’article 3 commun.
S’agissant d’un autre acteur, il suffit donc qu’il soit « humanitaire et impartial ». Mais comment définir ces qualités ? Et qui en décide ?
Le Commentaire présente dans les § 1155 à 1164, les conditions pour qu’un organisme autre que le CICR soit ainsi reconnu.
Pour autant, on le constate ces dernières années, sur fond de lutte contre le terrorisme, certains États ou organisations internationales sont devenus plus méfiants et entourent les activités conduites par certains acteurs (ainsi que leur financement) de conditions qui, souvent, empêchent en réalité l’action humanitaire.
Dans les CANI, le lecteur pourra se reporter aux § 788 et s qui traitent des contours de l’expression « organisme humanitaire impartial ».
Enfin, cet article 9 exige d’avoir « l’agrément des Parties au conflit intéressées ».
S’il incombe en tout premier lieu aux États de veiller à protéger ceux qui ne participent pas – les civils mais aussi les personnels de secours- et ceux qui ne participent plus – les blessés, malades, naufragés, détenus – ils ont l’obligation, selon les Conventions de Genève, s’ils n’y procèdent pas eux-mêmes, d’autoriser les activités humanitaires entreprises par le CICR ou tout autre organisme impartial.
En effet, depuis 1949, le monde a évolué. Les pratiques des États aussi. Il est désormais acquis que cet agrément ne peut pas être refusé de manière arbitraire, soulignant aussi que « la nécessité militaire ne constitue pas un motif recevable, conformément au droit humanitaire, pour rejeter une offre de services valable ou pour refuser d’un bloc les activités humanitaires proposées par un organisme humanitaire impartial ». Le refus ne peut donc en aucun cas être discrétionnaire. S’il l’était, il serait susceptible d’entraîner la responsabilité internationale de l’État. Tous ces développements se trouvent aux § 1170 à 1180.
Dans les CANI, l’exigence d’un « consentement » est exposée de façon très détaillée aux § 827 et s. du commentaire de l’article 3 commun.
Il n’en demeure pas moins que dans nombre de conflits armés la question de l’accès humanitaire aux personnes qui le nécessitent se pose avec acuité.
Plus que jamais, « l'espace pour une action humanitaire neutre, impartiale et indépendante doit être protégé, afin que les personnes en ayant le plus besoin puissent recevoir de l'aide, sans discrimination de nationalité, de race, de croyances religieuses, de classe ou d'opinions politiques, où qu'elles se trouvent » (allocution de P. Maurer, 5 mai 2022).
Soulignons pour conclure que « le droit d’offrir des services » ou « droit d’initiative humanitaire » (voir Yves Sandoz, « Le droit d’initiative du Comité international de la Croix-Rouge », German Yearbook of International Law, vol. 22, 1979), ne doit pas être confondu ni avec le droit dit « d’intervention humanitaire », ni avec la « responsabilité de protéger ». Il s’agit là de concepts très différents qui n’ont pas le même fondement et qui sont moins étendus.
Pour ce qui le concerne, le CICR obéit à une approche guidée par les besoins des victimes et fondée sur un dialogue bilatéral et confidentiel. Cela signifie que le CICR « ne prend pas parti » pour l’un ou l’autre des belligérants. Toute accusation tendancieuse de partialité ou qui qualifierait l’action du CICR ou de tout autre acteur humanitaire impartial « d’acte hostile » à l’encontre de l’un ou l’autre des belligérants, ne pourrait que rejaillir sur les personnes qui ont besoin d’assistance et de protection et aurait donc pour effet de les abandonner à leur sort.
S’agissant d’un organisme humanitaire impartial, « négocier avec un gouvernement ou avec des autorités dissidentes n'est pas un objectif mais un moyen nécessaire pour tenter d'atteindre aussi efficacement que possible, lors des conflits armés, l'objectif posé par le principe d'humanité » (Y. Sandoz).
En réalité, toute fausse accusation décrédibilise les activités humanitaires et constitue une excuse pour ne pas respecter les dispositions contraignantes du DIH ; cela met ainsi en danger les personnels humanitaires et elle nuit aux personnes, civils et soldats blessés et malades, nécessitant secours et protection. « Quand la flamme de l'Humanité vacille, nous devons nous en alarmer et nous devons agir ! »
Ghislaine Doucet Conseiller juridique principal Responsable de la production en français des Commentaires actualisés des Conventions de Genève
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